Dans les nues

Posté le 25 avril 2007 par zatoichi doudou

Je suis las et dans la rue, je chemine sur un parterre bosselé. J’imagine sans mal les aspérités sous la semelle de mes chaussures. Je suis habillé de vêtements légers. J’appuie sur mon pied gauche, mon corps s’élève, tandis que mes articulations se tassent. Je balance mon corps en avant. Je sens ma colonne vertébrale se détendre, mes côtes saillirent sous le tissu qui me frôle. Je projette mon genou droit. Je tire mon pied vers l’avant. Je frôle le sol assez longuement pour faire perdurer le déséquilibre.
Je suis entre deux pas, entre deux pieds. Je suis dans l’instant infime qui scinde, exactement dans son milieu, la cinétique d’une enjambée. Mon corps ne subit plus aucun choc, plus aucune tension. Mon pied gauche se met à frôler le sol à son tour. Je suis en apesanteur. Il m’a fallu 27 années d’existences pour découvrir intimement mon déracinement poly-quotidien. Plusieurs centaines de fois par jour, je ne prends plus d’appuis sur la surface terrestre.
Le pied droit se saisit du sol. Je suis ancré à nouveau. J’attends le moment où ma jambe sera tendue à la verticale de son point de contact. Je suis droit, verticale. Mon corps repose entièrement sur ma voûte plantaire, elle-même en appuis sur les semelles de gommes de ma chaussure reposant sur la chaussée. Je suis écrasé intimement contre la surface terrestre à travers un contact de translations. Je pèse plus que mon poids au repos : mon mouvement est dans une phase dynamique, transitoire.
Je passe mon temps, alors que je marche, à comprimer puis détendre : ma voûte plantaire, mon corps entier, jusqu’à l’extrémité de mes cheveux, de ma pilosité qui ondule à la manière des algues soumises aux courants. Je passe mon temps, alors que je marche, à imprimer le poids de mon corps sur la surface qui m’intercepte. J’échappe au contact entre deux pas. Je suspends mon corps, mes pas, mes pensées. Je ne médite pas. Je marche.
J’ai un objectif. M’éloigner du bureau de vote. Pour aller je ne sais où. Je ne suis plus le même. Je change d’instant en instant. Je subis ma physiologie, mon illogisme physique. J’appuie mes pensées sur les bords de ma compréhension. Ça me rend triste. Je suis impuissant : je connais trop ces bords infranchissables. Les trottoirs sont sombres et éclaircis par les pierres formant les caniveaux. Je vois fiché, dans les pavés ternes, ces clous brillants et je m’imagine en appui sur la pointe d’un pied.
Je repousse mes bords limites. Devant le métro aérien, un carrefour, des rideaux cramoisis. Je tourne de la pointe d’un pied sur un clou. Je m’envole en spiralisant de mon corps. Je retombe sur un clou aléatoire. Je vrille mon corps comme le torchon à salade qu’on essore une fois la salade arrosée. Je commence du bas des pieds et mon corps se ceint jusqu’à l’occiput. Je m’arrache jusqu’au prochain clou. Je me dévrille en sens inverse et rebondit vers un autre clou. Je suis un danseur, un derviche tourneur. Je vrille mes perceptions pour atteindre plus vite un sens que je n’atteins pas.
J’entends les klaxons des voitures, on me saisit encore le bras. Plus fermement cette fois-ci. Je suis dégrisé. Je reprends mon souffle, abandonné sur le trottoir qui me mène. Il pleut des gouttes de sueurs. J’ai froid.

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